• Retrouvailles & rencontres

    Retrouvailles & rencontres

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    Deux mois déjà ! Après le pre­mier article qui annon­çait l’ou­ver­ture du site et le début de la rési­dence d’au­teur asso­cié à la Cité Radieuse de Briey-en-Forêt, il est plus que temps de racon­ter un peu ce qui s’y déroule… Ce sera l’oc­ca­sion de quelques courtes notes durant les pro­chains jours. 

    Pour com­men­cer : cette rési­dence, elle se fait avec qui ?

    Comme je l’an­non­çais dans le pre­mier billet, c’est à l’i­ni­tia­tive de Romain Zattarin, res­pon­sable de pro­jets à la mai­rie de Val-de-Briey, que cette rési­dence est née, et ce fut un plai­sir de pou­voir le retrou­ver, cette fois-ci en com­pa­gnie de son équipe : Séverine Pinna, res­pon­sable de la com­mu­ni­ca­tion de la com­mune, Cathy Fischer, com­mu­ni­ty mana­ger, et Melissa Succurro, gra­phiste. Leurs bureaux se trouvent au pied du bef­froi de la ville, clas­sé monu­ment his­to­rique, dans le bâti­ment récem­ment réno­vé avec soin nom­mé « La Maison des mille marches », ancienne bou­lan­ge­rie qui accueille éga­le­ment au rez-de-chaussée un FabLab diri­gé par Cyril Martin, éga­le­ment web­mas­ter de la commune.

    Cette réunion de lan­ce­ment s’est faite en com­pa­gnie de Catherine Valès, adjointe à la culture de la ville, de Christine Meggia, biblio­thé­caire en chef, et de Véronique Léonard, âme vivante de l’as­so­cia­tion La Première Rue char­gée de valo­ri­ser le patri­moine de la Cité Radieuse et… mon hôte atten­tion­née chez « Corbu » ! 

    En rai­son des contraintes sani­taires, beau­coup de ren­contres pré­vues avec le public ont dû être sus­pen­dues, notam­ment à la biblio­thèque, à la Cité ou à la Maison des mille marches. Nous avons en revanche pu lan­cer les ate­liers d’é­cri­ture, en com­men­çant par le lycée Louis Bertrand : sous l’é­gide de leur professeures-documentalistes Laurence Henry et Oriane Cortese-Marcandella, et avec la com­pli­ci­té active de leur pro­fes­seure de fran­çais Maud Bondoni, les 35 élèves de la seconde A ont répon­du pré­sent au CDI pour mettre en scène chaque semaine avec créa­ti­vi­té des futurs singuliers. 

    Dès cette semaine, nous enta­mons un nou­vel ate­lier avec les élèves de l’EREA, grâce à l’in­vi­ta­tion du direc­teur des tra­vaux Olivier Tellier et avec l’im­pli­ca­tion pré­cieuse de leur pro­fes­seur de fran­çais et géo­gra­phie Wilfried Grare. Après les vacances de prin­temps, ce sera le tour des jeunes pris en charge par le ser­vice de pro­tec­tion judi­ciaire de la jeunesse…

    La vie à la Cité me fait côtoyer de nom­breux habi­tants, par­mi les­quels les deux voi­sins de bureau de Véronique : les gra­phistes et desi­gners Vincent Dietsch et Steven Vitale, pas­sion­nés très inves­tis dans l’or­ga­ni­sa­tion des expo­si­tions à la Cité et dans son rayon­ne­ment, et tou­jours prêts à vous rece­voir avec un café, une bière ou une mirabelle.

    Et grâce aux bons soins de Yasmine Kabli qui s’oc­cupe de l’en­tre­tien des espaces de La Première Rue, c’est dans un loge­ment impec­cable que j’ai pu rece­voir la visite ami­cale de Véronique Cola, orga­ni­sa­trice du Salon du Livre de Mancieulles. L’édition 2020 ayant dû être annu­lée, l’es­poir demeure quant à celle de novembre 2021 : ce serait l’oc­ca­sion de fêter, deux ans après, le point de départ de toute cette aventure…

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  • Mouvements de langue

    Mouvements de langue

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    Mise à jour du 1er février 2021 : Annick Englebert ayant créé un nou­veau site pour mettre en ligne son tra­vail, l’an­cien site dia​chro​nie​.be a été sup­pri­mé. Les liens y ren­voyant dans cet article ont donc été mis à jour vers leur ver­sion archi­vée par archive​.org sur sa « way­back machine ».


    Depuis quelques années, la socié­té fran­çaise est agi­tée d’un débat viru­lent sur l’é­cri­ture inclu­sive. D’un côté, on l’ac­cuse de cas­ser une langue dont la beau­té se serait peau­fi­née natu­rel­le­ment au fil des siècles, de l’autre on se révolte face à la dif­fi­cile adop­tion d’une mesure qui ne ferait que réta­blir dans la langue l’é­ga­li­té recon­nue entre êtres humains. Les posi­tions semblent irré­con­ci­liables. L’histoire du fran­çais, et plus par­ti­cu­liè­re­ment de son écri­ture, peut-elle appor­ter un éclai­rage utile ?

    La matière du débat étant celle-là même – la langue – qui per­met de le tenir, je suis obli­gé avant de pour­suivre de pré­ci­ser la posi­tion qui aiguille mes choix dans l’é­cri­ture de ce texte. J’ai choi­si d’op­ter ici pour une gra­phie tra­di­tion­nelle (pas de point médian1 ni de genre neutre2), en uti­li­sant des outils inclu­sifs qui me paraissent rela­ti­ve­ment consen­suels : la double flexion3, ain­si que l’ac­cord à la majo­ri­té4 et celui de proxi­mi­té5.

    Le 20 octobre 2020, la Tribune de Genève publie un article sur le tra­vail de fin de cur­sus d’un étu­diant à la Haute École d’Art et de Design (HEAD) : il aurait créé la pre­mière typo­gra­phie conte­nant des carac­tères inclu­sifs. L’article est repris dans beau­coup de médias grand public, relan­çant le débat entre par­ti­sans et oppo­sants qui s’é­charpent déjà depuis long­temps à coup de tri­bunes et de pro­cès en légi­ti­mi­té. Mais le texte sus­cite aus­si la colère de ceux et celles qui tra­vaillent depuis des années à la créa­tion de glyphes inclu­sives, et qui s’in­surgent de voir leurs créa­tions oubliées – invi­si­bi­li­sées6, plus précisément.

    Cet article de Friction Magazine relate bien l’é­ten­due des recherches menées par les per­sonnes concer­nées, qui tentent de trou­ver des réponses gra­phiques aux ques­tions que leur exis­tence pose à la langue. Je sou­li­gne­rais ici mon inté­rêt par­ti­cu­lier pour le tra­vail de lin­guiste mené par Alpheratz. Mais c’est un extrait du compte Instagram de la col­lec­tive Bye Bye Binary qui m’a don­né l’en­vie d’é­crire ce billet.

    exemple de typographie inclusive
    https://​www​.ins​ta​gram​.com/​p​/​C​H​L​Q​7​C​X​B​-​xZ/ © Bye Bye Binary

    En voyant cette image, j’ai repen­sé à la pre­mière page d’une édi­tion du Gargantua de Rabelais pré­sente sur le site de la BNF.

    Page Rabelais
    C’est sur cette page que je découvre pour la pre­mière fois les abré­via­tions typo­gra­phiques que les impri­meurs du XVIe siècle ont repris aux copistes du Moyen-âge. (Source gal​li​ca​.bnf​.fr – BnF)

    On voit ici l’u­sage du tilde (~) sur les voyelles de base afin de les trans­for­mer en voyelles nasales (ã pour le son « an », õ pour le son « on »), mais aus­si sur la consonne q, comme abré­via­tion de que. Plus mys­té­rieux encore à mon regard, cet étrange uo9, à la troi­sième ligne ! Il ne s’a­git pour­tant que du mot vous, le carac­tère u ser­vant aus­si à rendre le son « v », et le petit 9 ins­crit en expo­sant étant une abré­via­tion du suf­fixe us d’o­ri­gine latine. Ces abré­via­tions pri­sées des copistes, loin de n’a­voir été que des rac­cour­cis d’é­cri­ture, ont par­fois joué un rôle impor­tant dans l’or­tho­graphe actuelle, en témoigne l’his­toire du plu­riel en aux d’un mot comme che­val.

    On peut remar­quer éga­le­ment l’u­sage inha­bi­tuel pour nous des f, u, mais aus­si z, et l’ab­sence de régu­la­ri­té de cer­taines ortho­graphes, comme celle de la pré­po­si­tion à, écrite avec ou sans accent. Quelles étaient donc les règles en vigueur à cette époque, et com­ment ont-elles évo­luées jus­qu’à nos jours ?


    Le site créé par la cher­cheuse et ensei­gnante Annick Englebert, agré­gée de lin­guis­tique et doc­teur en lettres et phi­lo­so­phie, per­met de décou­vrir la langue fran­çaise selon une pers­pec­tive his­to­rique, et se révèle une véri­table mine d’or. C’est de là que je tire l’es­sen­tiel des infor­ma­tions qui ali­mentent la suite de cet article. J’éviterai ici d’en­trer dans les détails tech­niques, mais pour ceux et celles que l’his­toire gra­phique de la langue fran­çaise inté­resse, je recom­mande de com­men­cer par cette page de son site, qui offre un bon aperçu. 

    Pour déco­der les sons repré­sen­tés par les signes pho­né­tiques pré­sents sur son site, on peut les apprendre sur la page dédiée de ce site de pro­mo­tion de l’al­pha­bet pho­né­tique inter­na­tio­nal. On trouve sur la page Wikipedia concer­née la grille plus com­plète et lisible de l’en­semble de l’al­pha­bet. Pour ce texte, je n’en ferai pas usage et uti­li­se­rai l’al­pha­bet français.

    Voici donc un aper­çu rapide, sim­pli­fié et sélec­tif de l’his­toire de notre langue écrite :

    Le fran­çais est au départ un déri­vé du latin, une langue dans laquelle une lettre cor­res­pond à un son, et réci­pro­que­ment (avec quelques excep­tions).

    Au XIIe siècle, le fran­çais, qui n’exis­tait jusque-là qua­si­ment que sous forme par­lée, com­mence à prendre une place de plus en plus impor­tante dans les écrits. Se pose alors un pro­blème : au fil des siècles, les sono­ri­tés de la langue se sont bien éloi­gnées de celle du latin d’o­ri­gine, et de nom­breuses se sont créées. Il y a donc des sons nou­veaux – des pho­nèmes –, mais il manque de signes gra­phiques – de gra­phèmes – pour les représenter !

    Voici les options théo­riques lis­tées par Annick Englebert pour répondre au problème :

    1. créer des gra­phèmes spécifiques ;
    2. recou­rir à des gra­phèmes appar­te­nant à un autre sys­tème graphique ;
    3. réem­ployer des gra­phèmes deve­nus disponibles ;
    4. recou­rir à des signes diacritiques ;
    5. consti­tuer des digrammes, voire des tri­grammes ou des qua­dri­grammes à par­tir des gra­phèmes de l’al­pha­bet latin ;
    6. admettre qu’un même gra­phème puisse rendre plu­sieurs phonèmes.

    Dans la voie du recours à d’autres sys­tèmes gra­phiques, Annick Englebert note que le fran­çais actuel garde la trace de l’emprunt de trois gra­phèmes étran­gers : le k et le w anglo-saxons, et le y… grec, comme son nom l’in­dique. Mais ces trois gra­phèmes n’ap­por­taient le sup­port d’au­cun pho­nème nouveau ! 

    L’exemple le plus extrême de ten­ta­tive d’emprunt étran­ger est sans doute celui d’Honorat Rambaud, maître d’é­cole qui pré­co­nise dans sa Déclaration des abus que l’on com­met en écri­vant et le moyen de les évi­ter, et de repré­sen­ter naï­ve­ment les paroles : ce que jamais homme n’a fait. d’a­jou­ter 24 lettres issues d’autre sys­tèmes gra­phiques à l’al­pha­bet latin afin que chaque sono­ri­té trouve un signe lui cor­res­pon­dant. L’aperçu ci-dessous7 témoigne de la grande dif­fé­rence qui en résulte, mais nous per­met par la même occa­sion de nous rendre compte de la pro­non­cia­tion de l’é­poque (vers 1550) : le t final des mots comme alpha­bet et nou­vel­le­ment s’en­tend, le n de nou­vel­le­ment ou aug­men­té se pro­nonce, le u de aug­men­té s’en­tend (et se pro­nonce « ou »), etc.

    D’un abord incom­pré­hen­sible, ce nou­vel alpha­bet per­met ain­si bien de déchif­frer immé­dia­te­ment tout texte incon­nu, dès lors qu’on connait la cor­res­pon­dance sonore de chaque signe : un ancêtre à l’al­pha­bet pho­né­tique ? Rambaud fut moqué par les gram­mai­riens et experts de l’é­poque, qui pré­fé­raient batailler entre eux — il faut croire que ce n’é­tait pas sa guerre.

    À la même date 1550, et avec la même volon­té de créer un sys­tème d’é­qui­va­lence entre signe et son, Louis Meigret pro­pose un Trętté de la grammęre fran­çoęze qui fait sur­tout usage de dia­cri­tiques8.

    Il nous per­met au pas­sage de décou­vrir la pro­non­cia­tion d’é­poque du terme fran­çais : « fran­çoés ». Français s’é­cri­vait en réa­li­té François (comme le pré­nom) et c’est donc l’en­semble oi qui se pro­non­çait « oé ». Le tra­duc­teur et ami Francis Guévremont, d’o­ri­gine qué­bé­coise, à l’oc­ca­sion d’un repas avec notre édi­teur David Meulemans, m’a­vait déjà racon­té l’o­ri­gine de la drôle de pro­non­cia­tion de nos cou­sins d’outre-Atlantique, que l’on retrouve aus­si dans la bouche de cer­tains habi­tants de nos cam­pagnes fran­çaises : ils ont gar­dé le par­ler de nos ancêtres com­muns – qui rou­laient aus­si les r. Et de mimer un Roi Soleil décla­mant avec pres­tance sous nos sou­rires : « Le Rrrroé, c’est moé ! »

    Hormis les gra­phèmes exo­gènes et les ajouts de dia­cri­tiques, les gram­mai­riens et impri­meurs vont cher­cher à réuti­li­ser des gra­phèmes aban­don­nés pour dési­gner les pho­nèmes nou­veaux. L’exemple du signe u est amu­sant : ser­vant à l’o­ri­gine à dési­gner la pro­non­cia­tion « ou » en latin, le gra­phème u est un temps aban­don­né lorsque le fran­çais par­lé ne fait plus usage du son « ou ». Il peut alors tran­quille­ment être récu­pé­ré pour dési­gner le son « u » qui a émer­gé entre temps. Mais lorsque la langue par­lé fait à nou­veau usage du son « ou », il est alors impos­sible de lui attri­buer à nou­veau son signe d’o­ri­gine u, ce qui oblige à inven­ter une forme com­po­sée, en lui adjoi­gnant le signe o.

    D’autres formes com­po­sées de deux ou plu­sieurs signes vont voir le jour, à l’exemple de ch. On ajoute ou modi­fie par­fois des carac­tères pour cla­ri­fier la lec­ture : le y est plus lisible que le i par­mi les jam­bages, et rajou­ter un h devant les mots qui com­mencent en i ou ui per­met de mieux les iden­ti­fier (hier, huit, etc.)

    Dans la forêt de jam­bages (source gal​li​ca​.bnf​.fr – BnF)

    À par­tir du XIVe siècle, la langue écrite n’est plus le mono­pole des copistes. Elle devient l’u­sage des gens de jus­tice, moins ins­truits mais fiers d’être les tenants d’un savoir réser­vé à une élite, et qui veulent pou­voir affir­mer leur pri­vi­lège. Ces juristes9 ajoutent des lettres « para­sites » aux mots pour leurs éty­mo­lo­gies latines réelles ou sup­po­sées (le d de poids, par exemple), ou bien conservent des lettres qui ne se pro­noncent plus, par exemple à la fin des mots. C’est le début du divorce entre l’o­ral et l’é­crit, lequel s’é­ta­blit de façon arti­fi­cielle, contre l’usage.

    Dès le XVe siècle, ce sont les impri­meurs qui obtiennent le pou­voir d’é­ta­blir la forme des mots. Dans leur grande majo­ri­té, ils pour­suivent la démarche éty­mo­lo­gi­sante, ajoutent des lettres d’o­ri­gine grecque en plus des latines, et réta­blissent le dou­ble­ment des consonnes. Les ouvriers des impri­me­ries, payés à la ligne, sont trop heu­reux d’u­ti­li­ser ces signes supplémentaires…

    Au XVIe, l’im­pri­meur royal de François Ier, Geoffroy Tory, défi­nit les règles de l’ac­cent aigu, de la cédille et de l’a­pos­trophe. Le sys­tème se fixe : c’est le début du concept d’orthographe.

    L’Académie, fon­dée au XVIIe, enté­rine les gra­phies éty­mo­lo­gi­santes, mais n’hé­site pas au siècle sui­vant à modi­fier l’or­tho­graphe de nom­breux mots, jus­qu’à un tiers d’entre eux dans l’é­di­tion de 1740 de son Dictionnaire. C’est à la même époque que naît, sous l’im­pul­sion de gram­mai­riens convain­cus de la supé­rio­ri­té de l’homme sur la femme, la fameuse règle qui fait aujourd’­hui cou­ler beau­coup d’encre : « Le mas­cu­lin l’emporte sur le féminin. »

    En 1893, un pro­jet de réforme visant à har­mo­ni­ser cer­taines règles d’or­tho­graphe est stop­pé par les Académiciens10 réfrac­taires grâce à la média­ti­sa­tion de leur révolte dans la presse – ce qui sus­cite des réac­tions iro­niques, qui res­tent encore d’ac­tua­li­té.

    Un siècle plus tard (avec la timide réforme de 1990) et jus­qu’à aujourd’­hui, les per­sonnes favo­rables ou oppo­sées à une évo­lu­tion de la langue mènent tou­jours com­bat dans l’a­rène média­tique, avec une viru­lence redoublée.


    On ne s’ar­rê­te­ra pas ici au pou­voir réel dont dis­po­se­rait encore l’Académie, il suf­fi­ra de consta­ter à quel point est sui­vie sa déci­sion concer­nant la Covid-19 (même si cet avis appa­raît plus nuan­cé qu’on ne l’a rap­por­té). Pour les curieuses et curieux, l’Académie a mis en ligne récem­ment son Dictionnaire, sur un site per­met­tant de com­pa­rer l’é­vo­lu­tion des défi­ni­tions des mots au fil de ses édi­tions.

    Nous venons de voir rapi­de­ment com­ment la forme du fran­çais écrit a évo­lué durant les siècles, avec de nom­breuses varia­tions par­fois conco­mi­tantes, des expé­ri­men­ta­tions, des allers-retours, des hési­ta­tions… La langue évo­lue sans cesse, avec des mots nou­veaux, d’autres qui tombent dans l’ou­bli, des emprunts exo­gènes, etc. Chaque année, les dic­tion­naires ajoutent des défi­ni­tions, pour enté­ri­ner les réa­li­tés nou­velles qu’elles désignent.

    Car la fonc­tion prin­ci­pale du lan­gage, c’est bien de « par­ler le monde » tel qu’il existe, et par ce moyen, de le pen­ser. Pour cela, la langue doit répondre à de mul­tiples contraintes et ser­vir de mul­tiples usages : rapi­di­té de com­pré­hen­sion, pré­ci­sion d’ex­pres­sion, faci­li­té d’ap­pren­tis­sage, uni­ver­sa­lisme, capa­ci­té à tout expri­mer du plus abs­trait au plus concret, etc. Il s’a­git tou­jours d’un com­pro­mis entre soi et l’autre, pour trou­ver le ter­rain de com­pré­hen­sion le plus adapté.

    C’est tou­jours un équi­libre fra­gile : il faut suf­fi­sam­ment de sta­bi­li­té pour l’u­sage et la trans­mis­sion entre humains, mais une cer­taine capa­ci­té d’é­vo­lu­tion pour que cette langue accom­pagne le mou­ve­ment incon­trô­lable du monde. On a vu plus haut que des chan­ge­ments trop radi­caux peinent à convaincre, mais aus­si que cer­tains chan­ge­ments sont le fruit d’en­jeux de pou­voir plus que de civilisation. 

    En regar­dant aujourd’­hui les pro­po­si­tions de l’é­cri­ture inclu­sive, il faut se rap­pe­ler que la cédille, l’a­pos­trophe ou les accents n’ont pas tou­jours exis­té. Ils sont le fruit d’un com­pro­mis entre le sta­tu quo latin et les expé­ri­men­ta­tions créa­tives de quelques per­sonnes auda­cieuses qui cher­chaient des solu­tions aux manques de leur époque.

    Car, hier comme aujourd’­hui, c’est pour décrire des réa­li­tés qui manquent de repré­sen­ta­tions – qu’elles soient sonores ou socié­tales – que des inno­va­tions gra­phiques ont vu le jour. On peut déci­der de nier la réa­li­té du monde, comme l’ont fait les tenants de l’é­crit du XIVe siècle en le décon­nec­tant de son usage oral. Mais ne sont-ce pas ceux-là même qui, croyant magni­fier l’é­crit alors qu’ils ne contri­buaient qu’à son iso­le­ment, sont à l’o­ri­gine de sa désaf­fec­tion gran­dis­sante aujourd’hui ?

    Aimer la langue – et la lit­té­ra­ture, son expres­sion la plus fabu­leuse –, c’est la vou­loir vivante, auda­cieuse, aven­tu­reuse, et au contact des réa­li­tés com­plexes qu’elle entend décrire. Parmi toutes les options théo­riques lis­tées par Annick Englebert, la créa­tion de gra­phèmes est la seule qui n’ait pas été ten­tée par le pas­sé : qu’on s’y essaie aujourd’­hui me semble une rafrai­chis­sante nou­velle. Laissons les expé­ri­men­ta­tions se faire, les échos se trou­ver et le temps déci­der des nou­veaux usages, sans a prio­ri ni élitisme.

    L’anatomie nous le rap­pelle : sans mou­ve­ment de langue, pas de parole pos­sible. Et pas de french kiss non plus – pour la langue de l’a­mour, un comble !

    source Friction Magazine

    Post scrip­tum :

    Le fran­çais a été une langue orale jus­qu’au XIIIe siècle, puis une langue de l’é­crit avec le tra­vail des copistes, des impri­meurs, de la presse, jus­qu’au XXe siècle où la radio et la télé­vi­sion réta­blissent la balance de l’o­ra­li­té. Vers la fin du XXe, l’ex­pan­sion de l’in­for­ma­tique et la créa­tion d’in­ter­net donne une nou­velle impul­sion à l’é­crit. Mais en ce pre­mier tiers de XXIe siècle, la vidéo, l’Intelligence Artificielle et la recon­nais­sance vocale rebattent les cartes. En plus d’un retour à l’o­ral, c’est car­ré­ment un retour à l’i­mage que l’on observe : le smi­ley en vient à sup­plan­ter le lan­gage SMS, au point qu’un auteur décide d’en choi­sir un pour titre de son ouvrage. Au Xe siècle, vitraux et mys­tères11 ser­vaient pour l’Eglise à trans­mettre au peuple son mes­sage. Stories12 et smi­leys sont-ils les mys­tères et vitraux du XXIe siècle ?


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  • Une nouvelle naissance

    Une nouvelle naissance

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    2020 est ter­mi­née, 2021 démarre. Après plu­sieurs mois éprou­vant pour une large part de l’hu­ma­ni­té, cette nou­velle année char­rie l’es­poir de temps meilleurs. Durant l’é­preuve de la pan­dé­mie de coro­na­vi­rus, cha­cun a vu son exis­tence bous­cu­lée, remise en ques­tion, et la marche des socié­tés ébran­lée plus encore qu’elle ne l’a­vait été ces der­nières années. On cherche avec une cer­taine urgence les contours du monde d’a­près, qu’il nous reste à construire.

    « Le monde d’a­près », c’est le thème de la rési­dence d’au­teur asso­cié que j’en­tame cette semaine à la Cité Radieuse Le Corbusier de Val de Briey, en Meurthe-et-Moselle.

    Je suis venu pour la pre­mière fois sur le ter­ri­toire brio­tin en novembre 2019 lors du Salon du Livre local avec mon confrère Gilles Marchand des Éditions Aux Forges de Vulcain, à l’in­vi­ta­tion de Romain Zattarin, char­gé à la mai­rie du déve­lop­pe­ment de la com­mune. La géné­ro­si­té et la gen­tillesse de toute l’é­quipe, ain­si que l’en­thou­siasme de notre hôte m’ont immé­dia­te­ment séduit. Romain est aus­si ancien pré­sident de l’as­so­cia­tion La Première Rue, qui s’at­tèle à entre­te­nir, valo­ri­ser et faire connaître le patri­moine si carac­té­ris­tique de l’Unité d’Habitation cor­bu­séenne, ache­vée en 1961. Il me fait part à cette époque de son désir d’y invi­ter un auteur ou une autrice en rési­dence, ce qui sus­cite mon vif intérêt.

    Deux mois plus tard, c’est-à-dire il y a envi­ron un an, il me rap­pelle pour me pro­po­ser de ten­ter l’a­ven­ture en répon­dant à l’ap­pel à pro­jet com­mun de la Drac et de la Région. Nous dis­cu­tons afin d’é­la­bo­rer un pro­jet ensemble, nous arti­cu­lons les pistes d’un futur roman avec les pos­si­bi­li­tés d’in­ter­ven­tion cultu­relle dans les ins­ti­tu­tions du coin, nous trou­vons des solu­tions pour éta­blir l’a­gen­da com­mun et après un long été d’at­tente… le pro­jet est accep­té ! Ô joie !

    Mais la ren­trée est bien sombre : l’é­pi­dé­mie reprend de plus belle. Tous les pro­jets cultu­rels sont annu­lés les uns après les autres, y com­pris le Salon du Livre de fin novembre qui devait être l’oc­ca­sion de lan­cer la rési­dence. Un second confi­ne­ment est ins­tau­ré. D’un com­mun accord avec Romain, nous déca­lons d’un mois la rési­dence, dans l’es­poir que la situa­tion s’a­mé­liore et que nous puis­sions orga­ni­ser les évé­ne­ments pré­vus. Le confi­ne­ment est levé, pour lais­ser place à un couvre-feu, bien­tôt ren­for­cé dans cer­tains dépar­te­ments… dont la Meurthe-et-Moselle. Les acti­vi­tés cultu­relles pour­ront se main­te­nir en jour­née, mais plus de sor­tie après 18h… Est-ce si grave, vrai­ment ? Ne suis-je pas là pour écrire ? Et la nuit, qui tombe jus­te­ment vers 18h en hiver, n’est-elle pas ce temps si mer­veilleu­se­ment appro­prié, que j’ai lar­ge­ment mis à pro­fit lors de l’é­cri­ture de mes pré­cé­dents romans ?

    J’ai une chance immense. En cette période où tant de per­sonnes se retrouvent en grande dif­fi­cul­té per­son­nelle et pro­fes­sion­nelle, j’ai la pos­si­bi­li­té de tra­vailler et de vivre de mon tra­vail, dans des condi­tions extra­or­di­nai­re­ment confor­tables. Ce roman comp­tait déjà beau­coup à mes yeux n’en acquiert que plus d’importance.

    J’ai quit­té la Lorraine à l’âge de 3 ans après y être né, et n’en garde aucun sou­ve­nir. Trente-cinq ans plus tard, au moment où le monde se retrouve contraint d’o­pé­rer une mue radi­cale, j’y retourne pour y enta­mer un roman dont l’en­jeu est tel que je ne peux dire si je sau­rai en venir à bout, un roman si dif­fé­rent des pré­cé­dents qu’il m’o­blige, moi aus­si, à une mue radi­cale, à une nou­velle naissance.

    Et pour gar­der la trace de cette ten­ta­tive de nou­velle approche dans cette ten­ta­tive de nou­veau monde, il fal­lait bien une ten­ta­tive de nou­veau site internet…

    Bienvenue dans l’aventure !

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  • L’Amour à la page

    L’Amour à la page

    Temps de lecture :

    1 minute

    Franck Thomas est le plus grand écri­vain vivant… sauf que per­sonne ne s’en rend compte ! À com­men­cer par son édi­teur, qui refuse son nou­veau manus­crit, celui qui devait lui appor­ter (enfin !) le suc­cès tant méri­té. Débute alors pour le roman­cier une quête à tra­vers la jungle édi­to­riale, où la ren­contre for­cée avec une illus­tra­trice jeu­nesse va réveiller les fan­tômes du pas­sé, mettre son égo à l’é­preuve et le pous­ser à décou­vrir le véri­table sens de l’é­cri­ture


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  • Le Négrier, de JMW Turner (1840)

    Le Négrier, de JMW Turner (1840)

    Temps de lecture :

    1 minute

    Un épi­sode de 26′ de la col­lec­tion Les petits secrets des grands tableaux dif­fu­sée sur Arte

    Réalisé par Jivko Darakchiev, pro­duit par Sophie Goupil


    Pratiqué depuis l’Antiquité, l’esclavage connaît un essor sans pré­cé­dent à par­tir du 16e siècle avec la traite des Africains par les Européens vers les immenses plan­ta­tions amé­ri­caines. Le Royaume-Uni est la pre­mière nation à abo­lir la traite négrière au début du 19e siècle. Dès lors, elle n’hésite pas à pour­chas­ser de sa puis­sante flotte les navires négriers étran­gers tout autour du globe.

    Le bri­tan­nique J.M.W. Turner, fas­ci­né par la mer et la magie de ses élé­ments, s’applique à peindre depuis sa jeu­nesse la fougue des tem­pêtes et les rela­tions mari­times tumul­tueuses des hommes à tra­vers les âges. Sa touche vivante réin­vente la pein­ture de pay­sage : débar­ras­sée de ses codes sur­an­nés, elle se charge d’une pro­fon­deur inédite par les sen­ti­ments qu’elle exprime.

    En 1840, il pré­sente à l’Académie une toile qui semble repré­sen­ter un épi­sode pas­sé de l’horreur négrière du pays, lorsqu’un capi­taine fit jeter par-dessus bord des esclaves malades encore vivants. À moins que… ce ne soit un épi­sode au pré­sent, un navire négrier étran­ger se débar­ras­sant de ses esclaves pour échap­per à un pour­sui­vant bri­tan­nique. Et si c’était les deux à la fois ?

    Mutique et dis­si­mu­la­teur lui-même, le peintre plonge dans les eaux troubles d’une socié­té bri­tan­nique ber­cée par les inno­va­tions éco­no­miques et tech­no­lo­giques de son époque, ren­voyant à l’Homme libre sa res­pon­sa­bi­li­té per­sis­tante dans l’exploitation de ses sem­blables, hier escla­va­giste, désor­mais indus­trielle, et bien­tôt mondialisée…

    Lien vers la bou­tique d’Arte

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  • Bal du moulin de la galette, d’Auguste Renoir (1876)

    Bal du moulin de la galette, d’Auguste Renoir (1876)

    Temps de lecture :

    1 minute

    Un épi­sode de 26′ de la col­lec­tion Les petits secrets des grands tableaux dif­fu­sée sur Arte

    Réalisé par Carlos Franklin, pro­duit par Sophie Goupil


    Depuis la Révolution Française, monar­chies, empires et répu­bliques se suc­cèdent en France. En 1870, le peuple pari­sien est assié­gé par l’armée prus­sienne, puis à nou­veau en 1871 par l’armée fran­çaise lorsqu’il se sou­lève contre le pou­voir capi­tu­lard en ins­tau­rant la Commune Insurrectionnelle. À la misère des res­tric­tions fait suite la vio­lence de la répression.

    Au sor­tir des conflits, quelques artistes s’emparent des nou­veaux outils qui per­mettent de peindre en plein air pour mani­fes­ter d’une touche per­son­nelle la pré­émi­nence de la cou­leur et l’importance des motifs du quo­ti­dien. Mais les Impressionnistes ont du mal à convaincre le public et la cri­tique, et doivent sur­tout comp­ter sur eux-mêmes…

    À 35 ans, Pierre-Auguste Renoir par­tage avec ses amis à Montmartre la misère des ouvriers exploi­tés, artistes désar­gen­tés, pros­ti­tuées déni­grées qui se retrouvent le dimanche au Bal du Moulin de la Galette pour oublier leur condi­tion le temps d’une danse joyeuse. Sur la grande toile où il les repré­sente, le peintre met la moder­ni­té au ser­vice d’une convi­via­li­té rayon­nante et immortelle.

    Sur les hau­teurs d’une ville-lumière bien­tôt capi­tale du monde, Renoir affirme dans les reflets des étoffes, la dou­ceur des sou­rires et l’éclat d’un après-midi colo­ré la force vivante du peuple des invi­sibles, célé­brant par la joie des oubliés l’expression de leur liber­té éternelle.

    Lien vers la bou­tique d’Arte

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