• La question à toutes les réponses

    La question à toutes les réponses

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    La fin du quarante-deux

    Aujourd’hui, j’ai 43 ans. 

    L’année der­nière, cela m’a­vait amu­sé de consta­ter que j’en­trais enfin dans l’ère du 42, ce fameux nombre qui serait, selon Douglas Adams — dont la « tri­lo­gie en cinq tomes » du Guide du voya­geur Galactique a été ma porte d’en­trée dans la science-fiction — la réponse à « la grande ques­tion sur la vie, l’u­ni­vers et le reste ». Je voyais dans cette entrée un clin d’œil aux tour­ments de la qua­ran­taine et la pos­si­bi­li­té d’en­fin arri­ver à mieux com­prendre ce que j’é­tais, ce que je vou­lais, et les clés de mon rap­port aux autres.

    Un an après, je me rends compte que c’est tout l’in­verse. Les ques­tions sont plus nom­breuses que jamais, mais ce qui a chan­gé en moi, c’est l’ap­proche. Ce texte en est un exemple : jus­qu’à pré­sent, j’a­vais tou­jours rechi­gné à dévoi­ler publi­que­ment des aspects de ma vie pri­vée, de même qu’à affir­mer des points de vue tran­chés. C’était le fruit de mon édu­ca­tion, qui insis­tait sur la pudeur et le fait de ne pas s’ex­po­ser. C’était aus­si l’ex­pres­sion d’une angoisse : se dévoi­ler, n’était-ce pas prendre le risque de déplaire ? C’était enfin le signe d’une méga­lo­ma­nie cer­taine : « Tout ce que vous direz pour­ra être rete­nu contre vous », et comme c’é­tait évident que j’al­lais finir par être célèbre, on allait irré­mé­dia­ble­ment me repro­cher mes posi­tion­ne­ments pas­sés ou me har­ce­ler avec les infor­ma­tions per­son­nelles que j’au­rais lais­sé fuiter.

    Ce mou­ve­ment d’ac­cep­ta­tion de l’ex­pres­sion de soi s’est accom­pa­gné d’une réflexion sur la manière de le faire. Je n’ai jamais vrai­ment aimé les réseaux sociaux et n’ai jamais réus­si à trou­ver la façon d’y être bien (y en a‑t-il seule­ment une ? leur concept n’est-il pas jus­te­ment d’en­tre­te­nir un malaise qui pousse à y reve­nir sans cesse ?)En plus de la ques­tion des algo­rithmes qui en sont deve­nu le prin­ci­pal pro­blème, l’ab­sence de per­son­na­li­sa­tion pos­sible de l’er­go­no­mie et de l’in­ter­face de ces outils, sans comp­ter leur mul­ti­pli­ca­tion et leurs codes propres, m’ont fina­le­ment per­sua­dé d’y renon­cer pour ne gar­der qu’un seul canal, que je peux défi­nir à ma guise : ce site internet. 

    Si vous lisez ce texte sur Mastodon, c’est que ce réseau social n’est pas comme les autres : il fonc­tionne de façon décen­tra­li­sée, et cha­cun y parle « de chez lui » (et non pas dans l’im­mense hall mar­ke­té d’un centre com­mer­cial de chez Meta, par exemple). Grâce à WordPress, j’ai pu faire de mon site une ins­tance Mastodon, et chaque nou­veau texte publié sur le site est auto­ma­ti­que­ment dif­fu­sé sur le réseau, tout en res­tant sur mon ser­veur. Plutôt que de consa­crer du temps et de l’éner­gie à m’é­par­piller par­tout, je me concentre sur l’é­cri­ture, le « conte­nu » comme on dit maintenant.

    Le lâcher-prise

    Dans l’é­cri­ture, comme dans le dévoi­le­ment de moi, j’y allais jus­qu’à peu avec par­ci­mo­nie, avec beau­coup de réflexion en amont et sur­tout une immense dose de contrôle. 

    Il fal­lait que chaque par­tie, chaque para­graphe, chaque phrase, et même chaque signe (ceols qui ont lu Le Point aveugle en savent quelque chose) soit savam­ment peséc, mûric, réflé­chic de façon appro­fon­die pour pou­voir être, à la fois, la concré­ti­sa­tion exacte de la pen­sée, et la forme la plus adap­tée à sa trans­mis­sion (ce que, bien sûr, ol n’é­tait jamais vrai­ment). Cela deman­dait une grande concen­tra­tion, et donc à chaque fois un temps dédié et un envi­ron­ne­ment adap­té. Mais c’é­tait sur­tout un grand frein à l’ac­tion, et la liste des idées ou envies res­tées en cou­lisses sur le bloc-notes n’a ces­sé de s’al­lon­ger au fil des années.

    Il y a quelques semaines, j’ai déjeu­né avec des amics scé­na­ristes, des com­pa­gnums de plume ren­con­trécs lors d’une aven­ture com­mune il y a une dou­zaine d’an­nées. Chacum a tra­cé sa route dans sa direc­tion sin­gu­lière, mais nous ne man­quons pas de nous revoir deux-trois fois l’an pour par­ta­ger nos expé­riences, nos joies et nos dés­illu­sions ; pour rece­voir un regard autre mais avi­sé sur nos tra­jec­toires par­fois pleines de doutes (sur­tout la mienne).

    Lors de ce repas, je confiai ma dif­fi­cul­té à écrire le roman en cours, mal­gré la bourse du CNL reçue. Je pen­sais que la bourse serait un moteur suf­fi­sant pour dépas­ser les blo­cages, un trem­plin à même de me lan­cer dans l’a­ven­ture, mais je res­tais pétri d’in­cer­ti­tudes et coin­cé dans des ques­tions de forme et de fond qui me parais­saient inso­lubles. C’est alors que la réponse jaillit de mes amics : écris le plus vite pos­sible, et sur­tout, autorise-toi à écrire un mau­vais roman ! Ça ne t’empêcheras pas de le reprendre ensuite si tu le veux, mais au moins tu auras la satis­fac­tion d’a­voir abou­ti quelque chose… et tu pour­ras tou­cher le reli­quat de la bourse — dont le ver­se­ment se déclenche lors de la sou­mis­sion du manus­crit terminé ! 

    Je me lan­çai donc dans l’é­cri­ture sans regar­der en arrière ni m’ap­pe­san­tir sur chaque phrase, pour tenir l’ob­jec­tif quo­ti­dien que je m’é­tais don­né. J’ai rapi­de­ment atteint le plai­sir de pou­voir écrire un cha­pitre quo­ti­dien. Mais sur­tout, j’ai décou­vert un autre type d’é­cri­ture, plus fluide, plus libre. Sans doute plus per­son­nel, aus­si. En aban­don­nant la volon­té de maî­tri­ser ce qui peut sor­tir, je laisse une voix plus sin­cère s’ex­pri­mer. Et sans doute plus lisible, aus­si. Mais pas seule­ment. Je me délaisse éga­le­ment d’un pen­chant à la complexification.

    L’art du non-retournement

    J’ai vu Juré numé­ro 2, le der­nier film réa­li­sé par Clint Eastwood, écrit par Jonathan Abrams. La réa­li­sa­tion est hon­nête, clas­sique pourrait-on dire, sans éclat ni ingé­nio­si­té mais au ser­vice de l’his­toire et sur­tout de ses per­son­nage, à com­men­cer par ce fameux juré numé­ro 2. Celui-ci est un homme d’une tren­taine d’an­nées, dési­gné comme juré d’une affaire cri­mi­nelle. Il cherche à se faire rem­pla­cer : sa femme est sur le point d’ac­cou­cher, et il ne veut pas man­quer la nais­sance ; en vain. Il doit donc juger avec onze autres per­sonnes le petit-ami d’une femme qu’on a retrou­vé morte dans le ravin joux­tant une route, non loin du bar où ils s’é­taient publi­que­ment dis­pu­tés, et d’où elle était par­tie à pied, peu avant que lui ne prenne sa voi­ture pour la rat­tra­per. Or, le pro­ta­go­niste juré se rend compte rapi­de­ment que l’en­droit où a été retrou­vée la vic­time est pré­ci­sé­ment celui où, ce soir-là, il a pen­sé avoir heur­té un cerf… Il est donc per­sua­dé d’être le cou­pable, et que l’homme qu’il juge (et que tous les autres jurés, comme la pro­cu­reure, pensent cou­pable) est en fait innocent.

    Ces infor­ma­tions arrivent très rapi­de­ment, au bout de quelques minutes. Je me suis alors dit : com­ment vont-ils tenir la lon­gueur ? Quelles vont être les révé­la­tions qui vont relan­cer l’in­trigue ? Je m’at­ten­dais à ce qu’un chan­ge­ment de pers­pec­tive impor­tant se révèle : fina­le­ment, ce n’est pas lui le res­pon­sable de la mort de la jeune femme, on va apprendre autre chose, etc. Mais… non.

    Ce fut une leçon d’é­cri­ture pour moi : pas besoin de retour­ne­ment sup­plé­men­taire, de révé­la­tion en plus. Il faut juste mus­cler au maxi­mum la pré­misse, le concept, pour en tirer toute la sève. Ici, un homme appe­lé à condam­ner un accu­sé de meurtre qu’il est le seul à savoir inno­cent, puisque c’est lui le res­pon­sable de la mort. 

    Le pro­ta­go­niste est dans un dilemme fort : il ne peut pas se per­mettre de se dénon­cer, parce qu’il ne peut pas lais­ser sa femme éle­ver seule leur fille à naître (ils ont déjà per­du des jumeaux d’une pré­cé­dente gros­sesse), mais il ne peut pas non plus accep­ter qu’un inno­cent soit condam­né, qui plus est un bad guy repen­ti qui affirme avoir chan­gé en ren­con­trant sa petite amie, parce que lui-même est un alcoo­lique repen­ti… sau­vé par la ren­contre avec sa femme. Et le soir de l’ac­ci­dent, c’est jus­te­ment cet enjeu d’al­cool et de bébé qui est au paroxysme et le pousse à être sur les lieux alors qu’il ne devrait pas : c’est le jour anni­ver­saire où devaient naître ses jumeaux décé­dés. Pour sup­por­ter ce sou­ve­nir trau­ma­tique, il décide de men­tir à sa femme et fait un détour pour s’ar­rê­ter com­man­der une pinte (qu’il ne boi­ra fina­le­ment pas) dans un bar… celui pré­ci­sé­ment où le couple se dispute. 

    Ce n’est pas la mul­ti­pli­ca­tion des évé­ne­ments qui rend l’his­toire si tou­chante et pre­nante, c’est leur pro­fon­deur gran­dis­sante (un peu comme une frac­tale). Contre la com­plexi­té nar­ra­tive, c’est la com­plexi­té émo­tion­nelle et la cohé­rence de l’en­semble qui apportent ten­sion dra­ma­tique et satis­fac­tion lors de sa réso­lu­tion (même ouverte, comme dans le cas du film d’Eastwood).

    À une époque où le monde vit de plus en plus dans une suc­ces­sion d’an­nonces, d’é­vé­ne­ments contraires, où tout change tout le temps et dans tous les sens, j’ai besoin, comme beau­coup de monde sans doute, d’ap­prendre l’art du non-retournement. De me dés­in­toxi­quer des noti­fi­ca­tions, des infos en conti­nu, des « conte­nus » dis­po­nibles à n’en plus finir, pour retrou­ver la pré­misse en moi, le fil conduc­teur à appro­fon­dir, qui donne du sens à l’exis­tence.

    Voici donc la leçon de cette année quarante-deux écou­lée, et la ques­tion qui demeure, au niveau per­son­nel comme pro­fes­sion­nel ; ce qui m’ap­pa­raît comme la ques­tion pour trou­ver toutes les réponses : 

    Comment lâcher mieux pour appro­fon­dir plus ?

    Et ça nous mène à la danse… mais ce sera pour un autre texte !

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  • À « Ground Control » le 29 mars !

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    2 minutes

    « Tout est poli­tique, sur­tout la science-fiction ! », telle est la ligne du nou­veau fes­ti­val d’i­ma­gi­naire qui lance sa pre­mière édi­tion les 29 et 30 mars pro­chains à l’es­pace Ground Control, une ancienne friche fer­ro­viaire trans­for­mée en tiers-lieu cultu­rel dans le 12e arron­dis­se­ment de Paris, au 81 rue du Charolais.

    Sur les deux jours, sont pré­vucs cinq tables rondes, deux lan­ce­ments de livres, un anni­ver­saire de mai­son d’é­di­tion, une confé­rence illus­trée sur la BD, et un grand quizz musi­cal, dans un lieu qui regorge par ailleurs de res­tau­rants, snacks et autres food­trucks de cui­sine des quatre coins du monde.

    Le pro­gramme com­plet du fes­ti­val, avec pré­sen­ta­tion des per­sonnes invi­tées, est en ligne sur le site de Ground Control.

    Hugues Robert, jour­na­liste à Blast (par­te­naire de l’é­vé­ne­ment) et libraire de la librai­rie Charybde (sise à Ground Control), est à l’i­ni­tia­tive de ce nou­veau rendez-vous, mali­cieu­se­ment inti­tu­lé « Aurore Système ». En 2019, il m’a­vait fait le bon­heur de beau­coup rire à la lec­ture de La fin du monde est plus com­pli­quée que pré­vu :

    Pour le fes­ti­val, il me fait l’hon­neur de m’in­vi­ter à débattre avec deux des plus grancs connais­seuvs de l’i­ma­gi­naire en France : Anne Besson, spé­cia­liste en fan­ta­sy et Ariel Kyrou, expert en science-fiction.

    Lors du tra­vail de pré­pa­ra­tion à l’é­cri­ture du Point aveugle, c’est un livre d’Ariel Kyrou qui m’a per­mis de rat­tra­per mon retard en culture science-fictionnelle (en com­plé­ment de L’histoire de la science-fiction en BD de Xavier Dollo et Djibril Morissette-Phan) : le for­mi­dable Dans les ima­gi­naires du futur, ouvrage-somme qui brosse le riche pano­ra­ma des dif­fé­rentes voies que la science-fiction a emprun­tées pour pen­ser le monde.

    Je ne connais en revanche pas le tra­vail d’Anne Besson, et l’ou­vrage que j’au­rais vou­lu lire d’elle, Les pou­voirs de l’en­chan­te­ment, paru en 2021, est mal­heu­reu­se­ment épui­sé. L’autrice a certes écrit bien d’autres livres, mais ils traitent spé­ci­fi­que­ment (et il me semble exclu­si­ve­ment)… de fan­ta­sy. Logique, après tout.

    Mais j’ai un blo­cage avec la fan­ta­sy : je n’ar­rive pas à m’y inté­res­ser. L’esthétique médié­vale me rebute, la magie m’in­dif­fère, je n’ai jamais réus­si à dépas­ser les pre­mières minutes de Games of Thrones, n’ai jamais lu Tolkien ou Terremer, et n’ai pas non plus réus­si à enta­mer les ouvrages pour­tant encen­sés de mes consœur et confrère des Forges de Vulcain, Claire Duvivier et Guillaume Chamanadjian (qui seront au fes­ti­val, venez les ren­con­trer !) Pourtant, j’ai­me­rais chan­ger cela.

    La table ronde avec Anne Besson et Ariel Kyrou aura lieu le 29 mars à 14h15 et sera sui­vie d’une séance de dédi­cace. Elle s’in­ti­tule : « Quoi de neuf dans nos regards sur l’imaginaire ? » 

    Par rap­port à mes deux illustres débat­teuvs, je ne me sens vrai­ment pas légi­time à dis­cou­rir sur le sujet. Mais j’ai hâte de les écou­ter, car je sens bien qu’à l’is­sue de la dis­cus­sion, mon propre regard, lui, aura indé­nia­ble­ment chan­gé.

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  • Une bourse du CNL pour mon prochain roman

    Une bourse du CNL pour mon prochain roman

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    J’ai pos­tu­lé au mois d’oc­tobre der­nier, comme beau­coup d’autres autrevs de ma connais­sance, à une bourse d’é­cri­ture du Centre National du Livre (CNL). Le prin­cipe est de per­mettre à um autrev de déga­ger du temps pour écrire un roman, un essai, une BD, grâce à un finan­ce­ment de quelques mil­liers d’euros.

    Ul faut four­nir un dos­sier de can­di­da­ture com­pre­nant le détail du pro­jet, les moti­va­tions pour l’é­crire et pour deman­der une bourse, ain­si que des extraits déjà écrits. Ne peuvent concou­rir que les per­sonnes ayant déjà publié à compte d’éditeur.

    Ul existe plu­sieurs « bourses d’au­teur » du CNL : un bourse de « décou­verte » pour les autrevs ayant publié un seul ouvrage, qui s’é­lève à 5 000 € (dont j’ai béné­fi­cié pour l’é­cri­ture de L’AMOUR À LA PAGE). Une bourse de « créa­tion » pour les écri­vaims qui ont publié au moins deux livres. Celle-ci peut être de 8 000 € ou de 15 000 €. Et une bourse d” « année sab­ba­tique » de 30 000 €, pour les autrevs ayant une œuvre déjà consé­quente et un pro­jet d’ampleur.

    J’ai eu le bon­heur de me voir octroyer 8 000 € pour l’é­cri­ture de mon pro­chain roman. C’est une excel­lente nou­velle, parce que cette res­source finan­cière me per­met­tra de déga­ger du temps pour écrire plus serei­ne­ment. Mais ce qui est aus­si béné­fique, c’est l’en­cou­ra­ge­ment que ça représente. 

    Se lan­cer dans l’é­cri­ture d’un livre est tou­jours dif­fi­cile, mal­gré tout l’en­thou­siasme qu’il peut sus­ci­ter. Est-ce une bonne idée ? Est-ce inté­res­sant ? Est-ce que cela vaut le coup / le coût (en temps, en éner­gie, en sacri­fices) ? Sans comp­ter les doutes inces­sants qui ponc­tuent l’écriture…

    Recevoir une bourse, c’est ain­si, aus­si, s’en­tendre dire : vas‑y, on y croit à ton pro­jet. Et ça fait fich­tre­ment du bien.

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  • Don d’ailleurs d’Antonioni

    Don d’ailleurs d’Antonioni

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    2 minutes

    Si votre four­nis­seur d’ac­cès à inter­net est Free, vous avez accès à OQEE, la pla­te­forme de replay et VOD où l’on trouve quelques films en accès gra­tuit. Parmi les nanars et les block­bus­ters de série B, j’ai eu l’heu­reuse sur­prise d’y décou­vrir « Profession : repor­ter » de Michelangelo Antonioni.

    Je connais peu le ciné­ma d’Antonioni. Avec ce film, j’en aurai vu trois : ceux qu’il a tour­nés en anglais. « Zabriski Point » il y a plus de vingt ans, vision­né dans le cours de Luc Lang à l’École Nationale d’Art(s) de Cergy lors­qu’il j’y étais étu­diant, et « Blow up » il y a une dizaine d’années. 

    En décou­vrant « Profession : repor­ter », j’ai retrou­vé ce que j’a­vais aimé chez les pré­cé­dents : l’in­tel­li­gence de la mise en scène, la minu­tie et l’in­gé­nio­si­té des plans. Mais ce qui m’a frap­pé, c’est le contraste tou­jours plus grand qui s’ins­taure entre ces films et ceux de notre époque.

    D’emblée, j’ai été hap­pé par ce plai­sir que j’é­prouve aus­si devant les œuvres de Bergman ou Tarkovski. Par la lon­gueur, et la lan­gueur. Certes, les espaces que tra­versent les per­son­nages sont très peu peu­plés, même en ville — c’é­tait il y a cin­quante ans : le monde s’est den­si­fié, com­plexi­fié, et cette impres­sion d’es­pace est pré­sent dans de nom­breux films anté­rieurs aux années 80.

    Mais chez Antonioni, le ciné­ma prend le temps. Le temps de l’ins­tant — à vivre — et de l’es­pace — à par­cou­rir. Si les per­son­nages hésitent, la camé­ra jamais ; elle danse avec eux, tout en pré­ci­sion, avec lenteur.

    Le film offre le temps de res­sen­tir, de dou­ter. De réflé­chir.

    J’ai aimé ce film parce qu’il m’a fait voya­ger, de façon radi­cale. Pas seule­ment par la géo­gra­phie (d’un pays indé­ter­mi­né d’Afrique à Londres, puis Munich, et Barcelone), mais sur­tout hors de la fré­né­sie omni­pré­sente de mon quo­ti­dien actuel.

    Dans le film, le per­son­nage prin­ci­pal incar­né par Jack Nicholson ne cesse de se fuir. Paradoxalement, j’ai res­sen­ti en sui­vant son périple l’é­mo­tion esthé­tique d’un ailleurs où pou­voir exis­ter plei­ne­ment.

    Dans l’es­pace entre l’hé­si­ta­tion du per­son­nage et la pré­ci­sion de la camé­ra qui l’ac­cueille, j’ai éprou­vé une épais­seur humaine dont les images contem­po­raines, pour beau­coup, ne cherchent plus à témoi­gner. Avec elles, on tranche, on acquiesce, on réfute, on oublie. On com­prend tout, tout de suite. Puis l’on s’é­par­pille dans le déluge de leur frag­men­ta­tion excessive. 

    Au contraire, en m’ac­cor­dant dans son film le temps de cher­cher à com­prendre ce qu’il est, Antonioni m’offre, l’es­pace de la pro­jec­tion, l’op­por­tu­ni­té de cher­cher à com­prendre ce que je suis.

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  • Le choix de la grammaire

    Le choix de la grammaire

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    On me demande sou­vent si j’ai un pro­chain roman en pro­jet — et en effet, c’est bien le cas. Mais les per­sonnes qui ont lu Le Point aveugle me demandent par­fois en plus si le pro­chain roman sera écrit avec la même gram­maire ori­gi­nale.

    C’est une bonne ques­tion. Chaque roman a sa forme propre. La gram­maire inven­tée pour Le Point aveugle a un sens dans l’u­ni­vers du livre, en lien avec son propos. 

    Mais cette gram­maire ne sort pas de nulle part. Elle s’ins­crit d’a­bord dans la longue his­toire des mul­tiples varia­tions de la langue fran­çaise. Elle s’ins­pire sur­tout des créa­tions variées de per­sonnes qui ne s’es­timent pas cor­rec­te­ment repré­sen­tées par la gram­maire actuelle. Elle pro­pose notam­ment, à l’ins­tar d’Alpheratz dans sa Grammaire du fran­çais inclu­sif, un genre neutre.

    Ce genre neutre ima­gi­né pour Le Point aveugle répond à des exi­gences d’u­ni­té (formes récur­rentes), de sim­pli­ci­té (pas trop de varia­tions), de lisi­bi­li­té (écart limi­té par rap­port à la gram­maire actuelle) et de cohé­rence (une logique sous-tend l’en­semble). Si ce genre neutre spé­ci­fique a un sens dans le roman, je dois recon­naître qu’il n’est pas plei­ne­ment fonc­tion­nel. Il garde notam­ment la rigi­di­té d’une forme créée, et non façon­née par l’u­sage. Ainsi qu’une esthé­tique plus visuelle qu’orale.

    L’usage semble ins­tal­ler dans notre langue les formes conca­té­nées, telles que « iel » ou « auteu­rices ». Elles ont l’a­van­tage de réuti­li­ser les ter­mi­nai­sons iden­ti­fiables du fémi­nin et du mas­cu­lin. Mais je trouve, comme d’autres, qu’elles échouent à repré­sen­ter avec jus­tesse le spectre de la non-binarité. Je pré­fère ain­si les formes plus ori­gi­nales comme « al » ou « ol », qui ont l’a­van­tage de la conci­sion et, à mon sens, la puis­sante de l’al­té­ri­té (tout en pou­vant embras­ser tous les genres).

    Dans mon quo­ti­dien, j’ai sou­vent besoin de pou­voir expri­mer cette « alté­ri­té qui embrasse ». J’ai donc déci­dé d’u­ti­li­ser les élé­ments de base de la gram­maire ima­gi­née pour Le Point aveugle dans les textes publiés sur mon site inter­net. Les motifs ne nous paraissent exo­tiques que parce qu’ils ne nous sont pas fami­liers. Dès lors qu’on les ren­contre régu­liè­re­ment, ils deviennent usuels.

    « Ça n’a pas for­cé­ment été très simple au départ mais on s’y fait assez rapi­de­ment. » C’est l’a­vis de la plu­part des lec­trevs à la fin du roman. J’espère que ce sera le vôtre après quelques lec­tures par ici.

    Fediverse Reactions

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  • Le cinéma du rêve

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    Ce matin, le réveil me tire d’un rêve très intense, dont je ne me rap­pelle plus les détails. Mais je me rap­pelle très pré­ci­sé­ment de quelques plans.

    Oui, des plans de ciné­ma : je me rap­pelle notam­ment d’un champ/contre-champ lors d’une dis­cus­sion. Puis d’un tra­vel­ling avant sur un visage. Et de nom­breuses coupes de mon­tage. Dans ce rêve, je vivais donc vrai­ment une expé­rience de ciné­ma.

    Touc le monde rêve-t-ol en ciné­ma ?
    Ma façon de rêver serait-elle défi­ni­ti­ve­ment alté­rée par mon expé­rience cultu­relle ?
    Comment rêvent les per­sonnes immer­gées dans des cultures n’ayant pas d’i­mage animée ?

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Auteur de romans, scénariste de documentaires, consultant en scénarios et curieux de tout.

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