Si votre fournisseur d’accès à internet est Free, vous avez accès à OQEE, la plateforme de replay et VOD où l’on trouve quelques films en accès gratuit. Parmi les nanars et les blockbusters de série B, j’ai eu l’heureuse surprise d’y découvrir « Profession : reporter » de Michelangelo Antonioni.
Je connais peu le cinéma d’Antonioni. Avec ce film, j’en aurai vu trois : ceux qu’il a tournés en anglais. « Zabriski Point » il y a plus de vingt ans, visionné dans le cours de Luc Lang à l’École Nationale d’Art(s) de Cergy lorsqu’il j’y étais étudiant, et « Blow up » il y a une dizaine d’années.
En découvrant « Profession : reporter », j’ai retrouvé ce que j’avais aimé chez les précédents : l’intelligence de la mise en scène, la minutie et l’ingéniosité des plans. Mais ce qui m’a frappé, c’est le contraste toujours plus grand qui s’instaure entre ces films et ceux de notre époque.
D’emblée, j’ai été happé par ce plaisir que j’éprouve aussi devant les œuvres de Bergman ou Tarkovski. Par la longueur, et la langueur. Certes, les espaces que traversent les personnages sont très peu peuplés, même en ville — c’était il y a cinquante ans : le monde s’est densifié, complexifié, et cette impression d’espace est présent dans de nombreux films antérieurs aux années 80.
Mais chez Antonioni, le cinéma prend le temps. Le temps de l’instant — à vivre — et de l’espace — à parcourir. Si les personnages hésitent, la caméra jamais ; elle danse avec eux, tout en précision, avec lenteur.
Le film offre le temps de ressentir, de douter. De réfléchir.
J’ai aimé ce film parce qu’il m’a fait voyager, de façon radicale. Pas seulement par la géographie (d’un pays indéterminé d’Afrique à Londres, puis Munich, et Barcelone), mais surtout hors de la frénésie omniprésente de mon quotidien actuel.
Dans le film, le personnage principal incarné par Jack Nicholson ne cesse de se fuir. Paradoxalement, j’ai ressenti en suivant son périple l’émotion esthétique d’un ailleurs où pouvoir exister pleinement.
Dans l’espace entre l’hésitation du personnage et la précision de la caméra qui l’accueille, j’ai éprouvé une épaisseur humaine dont les images contemporaines, pour beaucoup, ne cherchent plus à témoigner. Avec elles, on tranche, on acquiesce, on réfute, on oublie. On comprend tout, tout de suite. Puis l’on s’éparpille dans le déluge de leur fragmentation excessive.
Au contraire, en m’accordant dans son film le temps de chercher à comprendre ce qu’il est, Antonioni m’offre, l’espace de la projection, l’opportunité de chercher à comprendre ce que je suis.